4000 ans d’astronomie chinoise

Lors des dernières RCE (Rencontres du Ciel et de l’Espace), Jean-Marc Baudet-Bidaud astrophysicien au CEA mais également auteur de 4000 ans d’astronomie chinoise (Editions Belin) est venu apporter un éclairage utile sur les apports de l’astronomie chinoise. Une astronomie que la culture occidentale a délaissée alors que, sur bien des points, elle s’avère bien plus riche et en avance qu’elle.


Par Jean-Paul Meyronneinc, sur la base des informations fournies par Jean-Marc Baudet-Bidaud lors de la conférence donnée aux RCE (11/11/2024).

Méconnue mais tellement grandiose :

L’astronomie chinoise est apparue il y a plus de 4000 ans. Et elle doit son essor à son caractère « sacré ». La Chine Impériale – Tianxia – est le « Pays sous le Ciel ». L’Empereur est le fils du Ciel. Le mandat céleste -Tianming – est quant à lui un concept indiquant que, dans la Chine Impériale, la position et l’autorité du souverain venaient directement du Ciel. En contrepartie, le souverain devait être à même de protéger son peuple, de prédire et d’expliquer tout ce qui se passait dans le ciel. Les empereurs chinois se sont donc toujours entourés d’astronomes ayant pour mission de prévoir les mouvements des étoiles et des planètes, de savoir mesurer le temps, de connaître les comètes, d’anticiper les éclipses, etc.

Il s’est donc développé une astronomie riche, dotée d’observatoires organisés, avec des équipes structurées capables de se relayer pour noter les observations (comètes, tâches solaires, novae, etc.). C’est aux Chinois que l’on doit ainsi la description détaillée et la datation de la supernova qui a donné la Nébuleuse du Crabe (4 juillet 1054). On note également l’existence d’outils d’observations particulièrement élaborés (Observatoire de Pékin, planisphère de Suzhou en 1193, montures de type équatoriale comme le Torquetum de Nankin de 1276, la Tour de l’Ombre de 1276).

A cette époque, alors que l’Europe enfermait l’astronomie dans un carcan théologique et monolithique (système géocentrique) bridant ainsi l’esprit critique et l’émergence de nouvelles théories, la Chine, s’appuyant sur un corpus de connaissances écrites (grâce au papier), étalées sur des millénaires, développait des modèles, inventait des instruments et s’accordait même à élaborer des théories diverses et contradictoires quant au mouvement de la terre, des planètes et des étoiles.

Deux documents symbolisent à eux seuls la richesse de l’astronomie chinoise ancienne.

Jean-Marc Baudet-Bidaud lors de sa conférence aux RCE 2024.

Une cartographie exhaustive des comètes :

Le premier document majeur de l’astronomie chinoise ancienne est la cartographie des comètes. Ce document a été trouvé dans la Tombe dite de Mawangdui (datée de -168 avant J.-C.), dans la province du Hunan.

Cet ensemble funéraire, découvert en 1972, comprend trois caveaux dont l’un, celui de la Marquise, s’est avéré intact. A l’intérieur, dans un état de conservation inouï, la momie de la Marquise, mais également plus de 3000 objets, dont une robe de soie de 2 mètres d’envergure et une bannière de soie. Et, pour revenir à notre problématique, un livre de soie de plus de 100 000 caractères, connu sous le nom de « Livre de Soie de Mawangdui » (daté lui de -350 avant JC). Ce livre, merveilleusement bien conservé, couvre des thèmes aussi variés que la stratégie militaire, les mathématiques, la cartographie, la musique, le tir à l’arc, l’équitation, l’écriture et l’arithmétique. On y trouve également les classiques de la philosophie chinoise.

Et, parmi toute cette richesse encyclopédique, deux textes consacrés à l’astronomie. Le premier est un bréviaire contenant une table des positions des planètes. Le second est consacré à l’observation de différents phénomènes célestes : nuages, halos, aspects du soleil, de la lune et… des comètes. Cette partie constitue un véritable catalogue détaillant 29 dessins et types de comètes. Un travail descriptif proche de la classification moderne des comètes, avec en exergue quelques prédictions astrologiques. Comme par exemple pour la comète n°14 :

La guerre est courte et le blé en abondance.

Sur chaque dessin, on peut distinguer les queues de gaz (courtes et rectilignes) et les queues de poussière (larges et incurvées). Ce qui est étonnant dans ce descriptif, c’est que, compte tenu de la relative rareté d’apparition des comètes visibles à l’oeil nu, il est donc le fruit de centaines d’années d’observation. On est donc sur des relevés qui vont de -1000 à -400 avant JC.

Cet intérêt des chinois pour les comètes (qu’ils qualifiaient d’astres) a d’ailleurs permis de reconstituer de manière assez précise les cycles d’apparition de la comète de Halley. Comme l’indique Jean-Marc Bonnet Bidaud dans son ouvrage sur « 4000 ans d’astronomie chinoise » :

Les passages des années 141, 374, 530, 837 et 1301 sont largement documentés ; et non seulement on a pu vérifier leur parfaite exactitude, mais ces données ont permis aux astronomes modernes de démontrer que la période de retour de Halley n’était pas constante, mais pouvait varier entre 76 et 79 ans.

4000 ans d'astronomie chinoise comète
“Atlas de soie des Comètes” du Musée de la Province du Hunan.

La carte du ciel la plus ancienne :

Le second texte majeur de l’astronomie chinoise est la carte dite de Dunhuang.

4000 ans d'astronomie chinoise constellations
Extrait des nombreuses cartes retrouvées dans les grottes de Dunhuang, représentant les constellations et datant du VIIe siècle.

Là encore la découverte de ce document est due à des circonstances heureuses. Dunhuang est un monastère bouddhiste situé aux frontières du désert de Gobi et qui était donc une étape importante sur la route de la Soie. Ce monastère a été construit à même la roche, une sorte de monastère troglodyte. Plus de 700 grottes ont ainsi été aménagées à partir du 4ème siècle après J.-C., dont près de 500 sont décorées. Lors des multiples invasions Ouigours puis Mongols (XII et XIIIème siècle), le monastère a décliné jusqu’à disparaître complètement, rongé par le vent et envahi par le sable.

Il fut redécouvert au tout début du XXème siècle par un moine taoïste qui tomba par hasard, dans une grotte, sur une ouverture secrète cachant une salle murée comprenant plusieurs dizaines de milliers de documents, de statuettes et d’objets divers. Les manuscrits, antérieurs au XIème siècle, enfermés ainsi dans ces grottes, à l’abri de la lumière et des intempéries, ont miraculeusement survécu au temps. Quelques années après leurs découvertes, un aventurier anglais, profitant du chaos dans l’Empire Chinois en fin de vie, racheta et emporta probablement plus de 20 000 documents qui furent, fort heureusement dispersés dans des musées et bibliothèques nationales (British Museum, British Library, BNF, Musée Guimet, etc.).

Le nombre colossal de documents et de rouleaux fait que nombre d’entre eux n’ont jamais fait l’objet de recherches approfondies. Ainsi en était-il de cet « atlas du ciel », datant de la deuxième moitié du VIIème siècle. Simplement mentionné dans les années 50, ce document a cependant attiré l’attention de Jean-Marc Bonnet Bidaud. Il a pu monter au début des années 2000 un projet international (France-Chine-GB) pour étudier de près ce rouleau. Dans son ouvrage « 4000 ans d’astronomie chinoise », JM Bonnet Bidaud insiste sur le caractère exceptionnel du document :

L’Atlas céleste de Dunhuang a été dessiné soigneusement à la main, en encres de différentes couleurs, sur un rouleau d’environ 4 mètres de long et seulement 25 cm de large d’un papier très fin dont l’épaisseur ne dépasse pas 0,04 mm (…). Sur cette carte sont dessinées 257 constellations chinoises ou astérismes, la plupart comportant leur nom, et regroupant un total de 1339 étoiles différentes. (…) La carte comporte 12 panneaux rectangulaires successifs centrés sur l’équateur céleste, complétés par une carte circulaire autour du pôle Nord.

(NB : en couverture de l’ouvrage de JM Bonnet-Bidaud).

Plus extraordinaire : après analyse, on se rend compte que les projections utilisées par l’auteur sont les mêmes que les projections de Mercator pour les cartes équatoriales et que la projection dite « azimutale » pour la carte polaire. Soit près de 1000 ans avant ! La précision moyenne des étoiles est de 1 à 3°.

Cette carte est probablement la plus vieille carte du Ciel. En effet l’astronomie de la Grèce Ancienne était une astronomie descriptive (Hipparque, Ptolémée) avec des représentations isolées de constellations sous forme imagées (Atlas de Farnese, Aratea de Leyden, Livre des Etoiles d’Al Soufi, etc.). En Europe, il faudra attendre les 16ème et 17ème siècle pour voir des cartes du ciel élaborées.

Cette carte du ciel montre donc la formidable précocité scientifique de l’astronomie chinoise. Une précocité tuée dans l’oeuf par l’arrivée des missions jésuites au 17ème siècle et la soumission progressive des empereurs chinois à la culture européenne. Un exemple : face à l’incompréhension de maniement des instruments (globes, sphères armillaires, etc.), dont les graduations sont divisées en 100 et non en 60 et dont les montures étaient réglées en mode équatorial, les nouveaux conquérants les ont mis au rebut (voire détruits ou fondus) pour les remplacer par des instruments réglés en mode écliptique !


Pour en savoir plus :

4000 ans d'astronomie chinoise

L’ouvrage de référence de Jean-Marc Bonnet-Bidaud :

4000 ans d’astronomie chinoise (Editions Belin).

Et son blog : bonnetbidaud.free.fr