Orion, un géant au sort tragique
En résumé :
Orion occupe une place à part dans la mythologie grecque. Héros moins connu et célébré qu’Ulysse, Thésée, Achille ou Persée, il doit avant tout sa réputation à la constellation qui porte son nom. Né en Béotie dans des circonstances assez curieuses. Fils adoptif d’Hyrée, mais son père biologique est Zeus ou Hermès (ou les deux). Devenu géant, il parcourt la Méditerranée de long en large, s’octroyant au passage les foudres d’un roi qui lui crève les yeux. Par l’entremise d’Héphaïstos, il recouvre la vue. Et à l’occasion d’un périple dans les Cyclades, il s’amourache d’Artémis. Pour son plus grand malheur. Par jalousie ou orgueil, il meurt sous les flèches de sa belle ou piqué par un scorpion. Et rejoint donc le Ciel.
La constellation d’Orion en quelques mots :
Orion est une constellation très ancienne. On en trouve les premières traces chez les babyloniens et les hindous où elle est figurée par un guerrier. Côté grec, Homère y fait référence à plusieurs reprises, notamment lorsqu’il décrit la fabrication du bouclier d’Achille par Héphaïstos : “il y montre la terre et le ciel et la mer, le soleil inlassable et la lune en son plein , et les astres, tous ceux dont le ciel se couronne : le puissant Orion, Hyades et Pléiades, puis l’Ourse” (Iliade, Chant XVIII).
Située en dessous du taureau, Orion est une constellation d’hiver aux traits remarquables qui abrite 7 étoiles de magnitude inférieure à 4, dont trois parfaitement alignées et une nébuleuse quasiment visible à l’oeil nu. Elle rythmait chez nos ancêtres les saisons : “quand les Pléiades, les Hyades et l’impétueux Orion auront disparu, rappelle-toi que c’est la saison du labourage” (Hésiode, Des Travaux et des Jours). Et guidait les marins : “parfois, à la saison du coucher hivernal du funeste Orion, un brutal coup de vent tombe du ciel à l’improviste sur le mât d’un navire” (Apollonios de Rhodes, Les Argonautiques).
Ce qu’en disent les auteurs anciens :
“Oblique sous le Taureau tronqué est situé Orion lui-même. Si on passe celui là quand, par une nuit claire, il se déploie tout là haut, il ne faut pas espérer qu’en levant les yeux au ciel, on pourra contempler d’autres figures plus remarquables” Aratos, Phénomènes.
“Plus loin, Orion, dans un effort de son corps incliné, retient le bas du corps du sauvage Taureau. Quiconque, levant au ciel ses regards par nuit claire, n’a su apercevoir la vaste configuration d’Orion, n’a vraiment plus qu’à désespérer de pouvoir reconnaitre les autres constellations”. Ciceron. Aratea-Fragments poétique
“La constellation, emportée obliquement sous le poitrail du Taureau, est Orion. Aucune étoile voisine ne désignera le héros mieux que les flammes disséminées sur tout son corps, tant sa tête, ses larges épaules et son baudrier étincellent, tant le fourreau de son épée et son pied rapide brillent.” Germanicus. Les phénomènes d’Aratos.
Une naissance plutôt croustillante :
Mais qui est Orion ? La plupart des grands auteurs des mythologies grecques et romaines le citent, soit à travers quelques lignes, soit à travers des tirades plus importantes comme chez Ovide, Nonnos ou Ératosthène. Le résultat d’ensemble est, au final, assez confus : les versions sur sa naissance, sa vie et sa mort fusent, sans que l’on sache vraiment quelle est la bonne.
Commençons par sa naissance. Deux hypothèses. La première est donnée par Eratosthène dans ses catastérismes, faisant référence à Hésiode, ainsi que par Apollodore dans sa Bibliothèque, faisant lui référence au poète Phérécyde. Pour eux, il serait le fils d’Euryal, la fille de Minos et de Poséïdon. Sans autres précisions.
La deuxième hypothèse, apparue à l’époque romaine, est autrement plus croustillante. Ovide, dans ses Fastes, Nonnos de Panopolis dans ses Dyonisiaques et Hygin dans son Astronomie nous décrivent avec détail cette naissance hors norme. Les Dieux aimaient régulièrement descendre sur terre pour se mêler aux vivants et voir comment ils appliquaient les préceptes divins et honoraient leurs dieux. Un jour donc, Jupiter (Zeus), accompagné de Mercure (Hermès) et, selon certains de Poséïdon, batifolaient du côté de Thèbes. Chemin faisant ils rencontrèrent un paisible vieillard nommé Hyrée qui leur offrit généreusement l’hospitalité, à bien boire et bien manger. Émus par la bienveillance d’Hyrée, les dieux dévoilèrent leur identité et lui offrirent de réaliser son vœu le plus cher. Ce dernier sauta sur l’occasion : “j’avais une femme chérie, amour durable de ma première jeunesse. Vous demandez où elle est maintenant ? Une urne renferme ses cendres. Je lui ai fait un serment en vous prenant à témoin : tu seras, ai-je dit, ma seule épouse. Je l’ai dit, et je tiens parole, mais en fait j’ai un souhait qui contredit mon serment : sans être époux, je voudrais être père” (Ovide, Les Fastes, V). Les trois dieux acquiéscèrent sans sourciller et se mirent à l’ouvrage. Mais d’une façon pour le moins curieuse : “pour faciliter le succès de sa demande, Hyrée immola un bœuf qu’il leur servit à table ; après quoi, Jupiter et Mercure demandèrent le cuir arraché du bœuf, ils répandirent leur sperme sur le cuir qu’ils firent enterrer” (Hygin, Astronomie). Après une période de gestation de 10 mois (?) naquit un enfant : “lorsque l’urine accumulée des trois dieux générateurs se transforma en un produit spontané, imprégnant le sillon d’une peau de bœuf féconde, il fit croitre dans ses flancs de cuir un mortel qu’aucune union n’avait enfanté” (Nonnos de Panopolis, Les Dyonisiaques). Compte tenu de son mode de création, son père lui donna le nom d’Urion. “L’euphonie et l’habitude le firent appeler Orion”(Hygin, Astronomie). A noter que les représentations d’Orion dans les atlas célestes le font porter une peau de bœuf. Probablement en référence à sa naissance.
Une vie de géant bien agitée :
De sa vie nous sont parvenues quelques bribes et anecdotes. Avec une caractéristique physique reconnue par tous : Orion était bel et bien un géant. “Celui-ci, en effet, surpassait de beaucoup, dit-on, par sa taille et par sa puissance, tous les héros dont nous avons gardé le souvenir”, nous explique Diodore de Sicile dans sa Mythologie des Grecs. Même emphase chez Virgile : “le grand Orion, quand, s’ouvrant un chemin, traverse à pied les immensités marines de Nérée, dépasse les ondes de la hauteur de ses épaules, ou quand il rapporte du sommet des monts un orne séculaire, a les pieds sur la terre et plonge la tête au milieu des nuages” (in L’Enéide).
Un géant doué pour la chasse et toujours doté d’une massue comme le rappelle Homère : “après lui, m’apparut le géant Orion, qui chassait à travers le pré de l’Asphodèle, les bêtes sauvages tout ensemble qu’il avait tuées dans les monts solitaires ; il avait dans les mains une massue toute de bronze, que rien n’avait pu briser” (L’Odyssée, Chant XI).
Mais de ses exploits, on ne sait pas grand-chose. Seul Diodore de Sicile relate un épisode héroïque en Sicile. Il aurait construit par sa seule force le port de Messine et ensuite aurait permis de relier la Sicile au continent : “une fois que la mer se fut étendue entre l’île et le continent, Orion forma par des digues le promontoire où se trouve le cap Pelôron, y construisit le sanctuaire de Poséidon, particulièrement honoré par les indigènes” (Diodore de Sicile, Mythologie des Grecs).
En fait nous reste vraiment de la vie d’Orion que la sombre période de son passage à Chios. Venant de Thèbes d’où il était originaire, Orion vint donc dans cette île au large de la Turquie dont le roi était Oenopion qui lui demanda de chasser les bêtes sauvages de son ile. Là, une fois son devoir accompli, “il demanda en mariage Merope, fille d’Oenopion ; ce dernier l’enivra, lui creva les yeux tandis qu’il dormait et l’exposa sur le bord de la mer” (Apollodore, Bibliothèque). Aveuglé, Orion erra sur les mers et finit par être secouru par Hephaïstos, qui prit pitié de lui. Il lui confia alors son fidèle serviteur, Celadion pour lui servir de guide. Orion le prit et le mit sur ses épaules pour qu’il lui indique la route. “Il se rendit en orient, entra en rapport avec Hélios et, apparemment, fut guéri. Il retourna alors chez Oenopion pour se venger de lui ; mais ce dernier fut caché sous terre par ses compatriotes“ (Eratosthène, Catastérismes)
Il partit ensuite vers l’ile de Délos, là où Leto enfanta Apollon et Artémis, et y rencontra Artémis. Les mythologues grecs et latins s’accordent tous à dire qu’il y eut entre ces deux là quelque chose de profond. Profond, mais forcément platonique, puisque Artémis avait fait vœu de chasteté.
Une mort …ou plutôt des morts :
Cet amour est incontestablement l’origine de la mort d’Orion. Mais là, force est de reconnaitre qu’on s’y perd un peu. Car il y a autant de versions de la mort d’Orion que d’auteurs. Certains, comme Ératosthène, se permettent même de donner deux versions différentes d’un paragraphe à l’autre.
Version numéro un : celle où il est tué par Artemis pour s’être épris d’Eos, la déesse de l’Aurore. “C’est ainsi qu’autrefois, l’Aurore aux doigts de rose (Eos), avait pris Orion. Quelle colère ô dieux, dont la vie n’est que joie ! Il fallut qu’Artemis, cette chaste déesse, vint de son trône le frapper à Délos de ses plus douces flèches” (Homère, L’Odyssée)
Version numéro deux : celle où il est tué par Artémis, mais parce qu’il aurait voulut la violer. “Selon Callimaque, il voulut violer Diane, qui le perça de ses flèches et il fut représenté au ciel en raison de leur passion commune pour la chasse” (Hygin, Astronomie). A noter que pour Eratosthène, il fut tué, non à coup de flèches, mais par un scorpion : “Artemis fit surgir un scorpion du sommet de l’île de Chios , afin qu’il piquât Orion et que ce dernier trouvât la mort, parce qu’Orion, au mépris de tout, avait essayé de violer la déesse lors d’une chasse “ (Eratosthène, Catastérismes). On a une variante avec éventuellement le viol d’Opis : “Diane le tua à coup de flèches, comme d’autres le disent, parce qu’il eut violé Opis l’une des vierges venues au pays des Hyperboréens” (Apollodore, Bibliothèque).
Version numéro trois : celle où il est tué par Artémis, mais à la suite d’une fourberie d’Apollon, son frère. “Orion fut aimé de Diane et il faillit l’épouser. Mais Apollon prit mal la chose et ses fréquents reproches à la déesse n’aboutissaient pourtant à rien. Il s’aperçut qu’en nageant Orion ne laissait voir de loin que sa tête et il défia Diane de pouvoir lancer une flèche sur l’objet sombre que l’on voyait sur la mer. Elle, qui tenait par dessus tout à sa réputation d’habileté dans cet exercice, lança une flèche qui transperça la tête d’Orion” (Hygin, Astronomie).
Version numéro quatre : Artemis le tue, mais, disons le, par simple pêché d’orgueil. Le héros meurt parce qu’il aurait défié impunément Artemis : “Orion fût tué, parce qu’il provoquait Artémis au lancer du disque “ (Apollodore, Bibliothèque).
Version numéro cinq : celle où il est tué par la Terre. “Apparemment, il menaça d’exterminer toutes les bêtes qui apparaitraient sur la terre. Irritée contre lui, Terre fit surgir un scorpion gigantesque qui le tua en le frappant de son dard » (Eratosthène, Catastérismes). Ovide dans ses Fastes et Nonnos de Panopolis dans ses Dionysiaques en donnent une version légèrement différente. Le scorpion a été envoyé pour attaquer la déesse. Et c’en barrant la route à l’animal qu’Orion fût piqué mortellement : “il avait suffi à ce chétif monstre terrestre qui rampe si lentement, de vibrer son dard foudroyant dans le talon d’un tel adversaire pour le terrasser, quand celui-ci effleurait à peine la frange de la tunique de la chaste déesse” (Nonnos, Les Dyonisiaques).
Cette dernière version, faisant apparaitre un scorpion, a le mérite de faire une boucle avec la constellation du Scorpion, pourtant bien éloignée de la constellation d’Orion. Mais les exégèses, comme Aratos, font remarquer que le coucher à l’ouest d’Orion correspond au lever à l’est du Scorpion : “lorsque le Scorpion survient au dessus de l’horizon, Orion s’enfuit jusqu’aux extrémités de la Terre” (Aratos, Phénomènes). En tout cas Orion et son bourreau, bien qu’éloignés, se retrouvent ensemble au ciel : “c’est la raison pour laquelle Zeus, compte tenu de son courage, plaça Orion parmi les constellations à la demande d’Artémis et de Leto et y plaça également le scorpion pour qu’on se souvienne de l’évènement” (Ératosthène, Catastérismes).
Pour en savoir plus :
- Encyclopédie du Ciel, sous la direction d’Arnaud Zucker (Éd. Bouquins)
- Phénomènes, Aratos (Éd. Belles Lettres)
- Catastérismes, Eratosthène de Cyrène (Éd. Belles Lettres)
- L’Astronomie, Hygin ( Éd. Belles Lettres)
- Bibliothèque, Apollodore (Traduite, annotée et commentée.par Carrière J.-Cl., Massonie B Besançon : Université de Franche-Comté, 1991. Editée en format PDF)
- Les phénomènes d’Aratos, Germanicus (Éd. Belles Lettres)
- Les Fastes, Ovide (Éd. Belles Lettres)
- Mythologie des Grecs, Diodore de Sicile (Éd. Belles Lettres)
- Iliade et l’Odyssée, Homère (Bibliothèque de la Pléiade)
- Les Dyonisiaques, Nonnos de Panopolis (Editions BNF, gallica.bnf.fr)
- Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Pierre Grimal (PUF)
- Grand Dictionnaire Larousse de la Mythologie, Jean-Claude Belfiore (Larousse Éditions)
Ecrit par Jean Paul Meyronneinc.