Taureau : Quand Zeus enlève Europe
Résumé :
Le Taureau est en fait Zeus, métamorphosé ainsi pour enlever Europe, fille d’Agenor, roi de Tyr (ou de Sidon). Voulant séduire Europe, la fille d’Agenor, il décide de se mêler au troupeau royal. Puis par supercherie, il l’a fait monter sur son dos et l’emporte sur les flots de la Méditerranée, la tête hors des vagues. C’est pourquoi seule la tête du Taureau est symbolisée dans le Ciel. Le périple les amène au bord de la Crète où, après avoir donné trois enfants à Europe, il la confiera aux bons soins du roi de Crète, Astérios.
A noter qu’avec l’Aigle et le Cygne, c’est l’une des trois constellations à faire directement référence à Zeus, via une métamorphose.
La constellation du Taureau en quelques mots :
Du Taureau, on ne voit que la tête, comme l’indique Aratos dans ses Phénomènes :
Vois comme sa tête se distingue clairement ; on n’a pas besoin d’un autre signe pour repérer le crâne du bovin, car à elles seules les étoiles qui évoluent sur ses deux côtés le dessinent comme il faut.
Situé entre le Cocher et Orion, le Taureau est une constellation du début de l’année (entre décembre et avril). Son étoile alpha, Aldebaran, est l’une des plus brillantes du ciel (magnitude 0,9). Elle forme, avec Zeta, Gamma, Beta et Delta une sorte de grand V, symbolisant les cornes du Taureau.
Le Taureau est enfin réputé pour ses deux amas ouverts, les Pléiades, situé sur l’échine du Taureau et les Hyades, juste en dessous Aldébaran. Les Pléiades et les Hyades, des nymphes, filles de Pléioné et Atlas, toutes transformées en étoiles pour les mésaventures et peines qu’elles ont connues. Les premières car poursuivies par Orion et les secondes inconsolables de la mort de leur frère Hyas.
Ce qu’en disent les auteurs anciens :
On raconte qu’il fut placé parmi les constellations pour avoir porté Europe à travers la mer, de la Phénicie en Crète. Cela lui valut d’être distingué par Zeus et de figurer parmi les constellations les plus visibles.
Eratosthène. Catastérismes.
On le mit au ciel, dit-on, parce qu’il a transporté sans encombres Europe en Crète, selon le récit d’Euripide.
Hygin. L’Astronomie.
Aux pieds du Cocher courbé s’étend largement le poitrail du Taureau haut en cornes. N’oublie pas de chercher là le frontal velu de la bête : elle est là, abattue sur sa patte repliée, ses yeux menaçants braqués vers la Terre.
Avienus. Les Phénomènes d’Aratos.
Là est le Taureau encorné dont l’apparence trompa Europe et la fit renoncer à sa couche virginale. Enlevée sur son dos à travers les flots, elle s’aperçut de son erreur à la vue des rivages, où elle déposa le fruit de ses amours avec un mari crétois.
Germanicus. Les Phénomènes d’Aratos.
A cette constellation s’attache une légende bien connue. Jupiter, sous la forme d’un taureau offrit son dos à la jeune tyrienne (Europe) et son front déguisé portait des cornes.
Ovide. Les Fastes.

L’inspiration sumérienne : le taureau céleste
La constellation du Taureau est probablement l’une des plus anciennes observées. Dans la grotte de Lascaux, il n’est pas exclu que l’image du Taureau symbolise cette forme céleste.
On la retrouve également chez les sumériens puis les babyloniens qui l’avaient baptisé Gud.An-Na, le «taureau céleste». Le Taureau est mentionné dans les fameuses tablette Mul-Apin. Et le funeste animal est l’objet d’un poème sumérien « Gilgamesh et le Taureau Céleste » où deux héros de la mythologie sumérienne, Gilgamesh et Enkidu abattent le Taureau céleste envoyé par la déesse Ishtar sur le monde, qui causait catastrophe sur catastrophe.
L’importance accordée à cette constellation chez les sumériens et babyloniens tient au fait que le groupe d’étoiles symbolisant le Taureau céleste était le signe des beaux jours, du printemps, et donc son passage dans le soleil marquant l’équinoxe du printemps.
Rien d’étonnant alors à ce que les grecs se l’approprient. On en trouve des traces chez Eudoxe. Aratos l’intègre également dans ses Phénomènes sans pour autant nous donner la signification mythologique de cette constellation. On en reste à un « bovin ». Il faudra attendre les catastérismes d’Eratosthène pour avoir une explication sur le sens de ce bovin.

Zeus emporte Europe dans les flots :
Le Taureau est donc celui qui a transporté Europe à travers la mer. L’enlèvement d’Europe est une légende crétoise, que l’on retrouve détaillée dans les métamorphoses d’Ovide.
Qui est Europe ? C’est une fille d’Agenor, un des descendants de Zeus et Poséidon. Sa mère, Libye, est une petite fille de Zeus et de son union avec Poseïdon est né Agenor. Ce dernier a longtemps régné sur Tyr ou Sidon (rivages de Phénicie, actuellement au Liban). Il a eu avec son épouse Argiopé (ou Téléphassas) plusieurs enfants : trois ou quatre garçons (dont Cadmos, héros du cycle thébain) et une fille, Europe.
Un jour qu’Europe se divertit sur les berges de la Méditerranée avec ses compagnes de jeu, elle est, bien malgré elle, repérée par le maître des cieux, Zeus. Qui va chercher et trouver un stratagème pour la séduire. Il profite ainsi de la présence à proximité d’un troupeau de taureaux royaux appartenant à Agénor.
Le père et souverain des dieux, porteur du foudre au triple dard, d’un signe ébranlant l’univers, se transforme en taureau et mêlé au troupeau, mugit et se pavane au milieu du gazon.
Ovide, Métamorphoses.
S’en suit alors un jeu de séduction entre l’animal et Europe. Un jeu bien anodin pour Europe, mais qu’il l’est moins pour Zeus métamorphosé. Au bout d’un certain temps, « la princesse ose chevaucher le taureau, ignorant qui la porte. Lors le dieu, s’écartant peu à peu du sol ferme, trempe ses pieds trompeurs dans les premières vagues d’où il emporte au loin sa proie en pleine mer» (Ovide, Métamorphoses).
On ne reverra jamais plus Europe sur les berges de sa terre natale. Elle est emportée par le Taureau qui garde la tête hors de l’eau (ce qui explique que la constellation ne symbolise que sa tête).
Arrivé sur la terre crétoise, Zeus s’unit à Europe. Avant de partir, le maître du Ciel offre à Europe trois présents : une statue de bronze pour garder les côtes de la Crète contre tout débarquement étranger, un chien qui ne laisse échapper aucune proie ainsi qu’un épieu de chasse qui ne manque jamais son but. De cette liaison entre Europe et Zeus, naîtront trois enfants : Minos, Sarpedon et Radamanthe. Asterios, le roi de Crète, épouse ensuite Europe et adopte les trois enfants.
Là s’arrête l’histoire d’Europe dont on ne connaît pas le destin futur. Agenor, son père, envoya ses fils à sa recherche avec ordre de ne pas revenir sans l’avoir trouvé. Aucun d’entre eux ne la dénicha et la légende veut que tous, à la suite de cette quête, fondèrent des cités, tel Cadmos qui contribua à l’édification de Thèbes en Béotie.
L’histoire de Zeus transformé en Taureau et d’Europe a largement inspiré les poètes, sculpteurs et peintre. Rembrandt s’est approprié la légende pour peindre l’une de ses plus belles peuvres : l’enlèvement d’Europe.
Quant à la connexion entre Europe et le nom de notre continent, elle reste en grande partie inconnue, si ce n’est à travers une allusion d’Ovide dans ses Fastes :
Le Taureau prend place au ciel et toi, fille de Sidon, Jupiter te féconde et l’une des trois parties du monde reçoit ton nom.
Une autre version : celle de la génisse Io
Pour expliquer la constellation du taureau, il existe également une autre version que donne Eratosthène, dans ses Catastérismes, celle de la génisse Io :
D’autres prétendent qu’il s’agit d’une vache, la réplique de Io, et que c’est par égard pour cette dernière qu’elle reçut de Zeus ce privilège.
Point commun avec la version d’Europe : on y retrouve Zeus et ses amours adultérins. Voulant séduire Io, il l’enveloppe d’un brouillard. Mais suspectant son mari de quelque fourberie, Hera demande à voir ce qui se cache derrière ce brouillard. Zeus transforme alors en catastrophe Io en génisse. Puis sur l’insistance d’Hera lui en confie la garde. Celle-ci délègue la mission à Argos, mi monstre mi humain, doté d’une centaine d’yeux qui ne se reposent jamais. A la requête de Zeus, Hermès vient à bout d’Argos. Fâché par ce meurtre, Hera envoie un taon piqué les flans de Io. Pour échapper aux morsures, Io dut s’enfuir à travers la mer Egée, traverser le Bosphore, pour finalement arriver en Egypte où elle reprendra sa forme initiale et finira des jours plus heureux pour devenir une reine adorée, sous le nom d’Isis.
Mais cette version laisse dubitative dans la mesure où l’on comprend difficilement pourquoi le taureau serait en fait une génisse et pourquoi on ne verrait que sa tête. Elle est donc loin d’emporter l’adhésion. On retrouve quand même Io en tant que tel dans le ciel comme étant l’une des quatre lunes galiléennes de Jupiter.
Pour en savoir plus :
- Encyclopédie du Ciel. Sous la direction d’Arnaud Zucker (Éd. Bouquins)
- Constellations et légendes grecques. Marie-Françoise Serre (Ed. Vuibert)
- Atlas des constellations. Susanna Hislop (Ed. Arthaud)
- Eratosthène – Le Ciel, Mythe et Histoires des constellations. Sous la direction de Pascal Charvet (Ed. du Nil)
- Catastérismes. Eratosthène de Cyrène (Éd. Belles Lettres)
- Les fastes. Ovide (Éd. Belles Lettres)
- Les métamorphose. Ovide (Éd. Belles Lettres)
- Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Pierre Grimal (PUF)
- Les mythes grecs. Robert Graves (Livre de Poche)
Ecrit par Jean Paul Meyronneinc.