Le serpentaire, hommage à Asclépios, dieu guérisseur

Le serpentaire
Le Serpentaire. Atlas de Jamieson.

En résumé :

Ophiucus pour les uns. Le Serpentaire pour les autres. Ce qui ne change rien. Ophiucus est un idiome latin emprunté au grec Ophiocos, créé spécialement pour dénommer cette constellation, en référence à un homme qui tient en ses mains un serpent. Lequel serpent forme également une constellation (coupée en deux, tête d’un côté et queue de l’autre). Les grecs, à partir d’Eratosthène, ont rapidement assimilé ce Serpentaire à Asclepios, dieu de la guérison et plus largement de la médecine (Esculape pour les romains). Un dieu, né dans le drame, arraché du ventre de sa mère par son père Apollon. Élevé par Chiron, il déploiera son art de la guérison avec majesté allant jusqu’à ressusciter les morts. Ce qui lui vaudra d’être foudroyé par Zeus.


La constellation d’Ophiucus en quelques mots :

Ophiucus est une constellation que l’on voit surtout entre avril et septembre. Située entre celle d’Héraclès et du Scorpion, elle comporte peu d’étoiles vraiment brillantes, son alpha ayant une magnitude de 2,1. En revanche, on y trouve nombre d’amas globulaires constituant 7 objets de Messier. Et aussi la deuxième étoile la plus proche du soleil, l’Étoile de Barnard (à 5,9 années lumière), mais de magnitude très faible (9,5).

La principale curiosité d’Ophiucus est d’être traversée par l’écliptique et pour une durée plus longue que le Scorpion. Mais pour une raison obscure, Ophiucus n’a jamais été enregistrée comme constellation du zodiaque, probablement parce que le chiffre 13 se prête mal à l’harmonie voulue par les astrologues.


Ce qu’en disent les auteurs anciens :

Il s’agit du personnage qui se tient debout sur le Scorpion, avec le serpent dans ses mains. On raconte que c’est Asclepios, et que Zeus l’éleva parmi les constellations pour faire plaisir à Apollon.

Eratosthène, Catastérismes.


Beaucoup d’astronomes ont imaginé ici Esculape que Jupiter, par égard pour Apollon, plaça au ciel.

Hygin, Astronomie.


Pour ménager une consolation à son fils Phébus et pris lui même de pitié pour le cruel destin de son petit fils disparu, il le fait, d’un mouvement nocturne, s’élever parmi les constellations.

Avienus, Les Phénomènes d’Aratos.


Alors se dressera au dessus de l’horizon le jeune homme foudroyé par les traits de son aïeul. Il étend ses mains qu’enlacent deux serpents.

Ovide, Les Fastes.

ophucius et asclepios serpentaire
A gauche, Ophiucus et le Serpent (gravure Aratea Leyde). A droite, statue d’Asclepios (Glypotek, Copenhague).

Arraché du corps de Coronis pour devenir un guérisseur hors pair :

La naissance, la vie et la mort d’Asclépios sont marquées par la dramaturgie. Plusieurs hypothèses tournent autour des parents et des conditions dans lesquelles Asclépios a vu le jour. Mais la plus solide et connue est celle d’un enfant né d’une union entre Apollon et Coronis.

Le bel Apollon est en effet tombé amoureux de Coronis, fille d’un roi thessalien. Cette dernière a succombé au charme au point de tomber enceinte. L’histoire aurait pu être belle si, entre temps, la belle Coronis n’avait été séduite par un mortel Ischys. Rendu jaloux par cet «adultère», Apollon tue l’infidèle et porte au bûcher sa bien aimée (d’aucuns disent que c’est la sœur d’Apollon, Artemis qui se chargea de ces tâches). Mais juste avant que Coronis n’expire, épris de remords, Apollon arrache l’enfant du corps de Coronis. «Ne supportant pas qu’en cendres se consume son fils, il l’arracha à son ventre et aux flammes» (Ovide, Métamorphoses, II). C’est ainsi que naquit Asclepios.

Apollon décide alors de confier son fils aux bons soins du centaure Chiron. Ce dernier lui enseigne les secrets de la guérison et fait d’Asclépios un véritable dieu en la matière.

Bientôt accoururent près de lui ceux que rongeaient les ulcères, ceux dont l’airain ou la pierre lancée avaient déchiré les membres, ceux dont une chaleur brûlante ou un froid glacial avait épuisé le corps : il délivrait chacun de ses douleurs, guérissant l’un par de douces et magiques paroles, l’autre par des breuvages rafraîchissants; celui-ci par des simples appliquées sur ces membres, cet autre par de salutaires incisions.

Pindare, Pythiques, III.

On attribue à Asclépios plusieurs enfants (au moins deux garçons et cinq filles) qui toutes et tous l’assistèrent dans ses tâches. Citons notamment Panacée (d’où le nom donné au remède universel) et Hygiée, déesse de la Santé (d’où hygiène).

Le serpentaire
En haut à gauche, le sacrifice à Asclépios et à sa fille Hygié (Musée du Louvre). A droite, statue d’Esculape (Musée du Louvre). En bas à gauche, fresque représentant Apollon, Chiron et Asclépios assis (Musée archéologique de Naples).

Un talent qui lui vaut la foudre de Zeus :

Mais les talents d’Asclépios vont au delà de la simple guérison pour aller jusqu’au miracle de résurrection. Ce pouvoir là, Asclépios l’a reçu d’Athena qui lui avait transmis le sang côté droit de Méduse.

Il se servait du sang qui avait coulé des veines de gauche pour faire périr les hommes et de celui de veines de droite pour les sauver, et c’est ainsi qu’il ressuscitait les morts.

Apollodore, Bibliothèque, III, 10.

Parmi ceux qui purent bénéficier de ce miracle on trouve d’abord Glaucos, fils de Minos, Capanée et Lycurgue (pendant le siège de Troie). On dit même qu’Orion, après avoir été piqué par le scorpion aurait bénéficié de ce pouvoir, ce qui explique la figure stellaire où Asclepios écrase de son pied le Scorpion.

Mais le revenant le plus célèbre est bien Hippolyte, fils de Thésée, rendu célèbre par les tragédies d’Euripide (Hippolyte) et de Racine (Phèdre). Dans ces deux tragédies, Hippolyte, banni par son père à la suite d’une fourberie de sa belle mère, Phèdre, meurt de la charge sauvage d’un taureau sorti des eaux. Mais ce que ne disent ni Euripide, ni Racine, c’est qu’en fait Hippolyte aurait été ramené à la vie par Asclépios. Ovide, dans ses Fastes, fait témoigner directement Asclépios :

Il n’y a pas lieu de s’affliger dit le fils de Coronis. Je rendrai la vie à ce pieu jeune homme, sans que subsiste la moindre blessure et mon art triomphera de la triste destinée.

Bref, tout cela ne fait ni les affaires des Parques, celles qui président aux destinées des êtres, ni d’Hadès qui dirige le royaume des morts.

Tous se plaignent auprès de Jupiter, l’une de ce que les fils du destin soient de nouveau filés, l’autre de voir porter atteinte aux droits de son royaume.

Ovide, Les Fastes.

Ni une ni deux, le dieu qui préside l’Olympe prend la décision fatale.

Comme les dieux étaient inquiets à l’idée que les prodiges réalisés par Asclepios puissent entraîner la fin des honneurs que leur rendaient les hommes, on raconte que Zeus, en colère, lança sa foudre contre la demeure d’Asclépios.

Eratosthène, Catastérismes.

S’en suit donc une embrouille entre Apollon et Zeus. Furieux de voir périr son fils de cette manière, Apollon décide de liquider les Cyclopes qui fabriquent la foudre, ce qui lui vaut d’être exilé pendant un an auprès du roi Admète comme bouvier.

Il n’en demeure pas moins que Zeus fut également ébranlé par la mort d’Asclépios qui était quand même son petit-fils. Certains auteurs l’ont fait renaître : «de dieu tu deviendras corps exsangue d’où dieu tu renaîtras, deux fois novant ta destinée» (Ovide, Métamorphoses). La plupart se limitent à rappeler que le Dieu des dieux décide de le placer au ciel, en gardant un œil sur lui : la constellation de l’Aigle (symbole de Zeus) est en effet situé juste à côté.

Au dessus, Diane retrouvant Hippolyte ressuscité par Asclepios (peinture murale salle de Diane, Musée du Louvre). En bas à gauche, Esculape rend la vie à Hippolyte (Alexandre Pujol, Musée de Fontainebleau). En bas à droite, Asclepios foudroyé par Zeus (extrait d’une fresque publicitaire Liebig).

Ne pas confondre bâton d’Asclepios et Caducée :

Asclepios aussi fait l’objet d’un véritable culte dans le monde grec avec l’image iconique d’un homme tenant dans ses mains un bâton enroulé d’un serpent. Cette légende du serpent est rapportée par Hygin dans son Astronomie. Venu guérir Glaucos, Asclépios est tranquillement installé dans un coin secret. Quand soudain surgit un serpent. Pour le faire fuir, Asclépios lui assène un violent coup sur la tête avec son bâton. Croyant avoir mis fin au jour du reptile, un second serpent s’approche du premier «tenant une herbe dans sa gueule et la place sur la tête du premier ; après quoi tous deux prirent la fuite» (Hygin, Astronomie).

Asclepios ramasse l’herbe en question et l’administre à Glaucos qui ressuscite. «En conséquence, le Serpent fut placé à la fois sous la protection d’Esculape et parmi les astres» (Hygin, Astronomie). Le serpent devient indissociable d‘Asclepios. Et par la suite aucun temple consacré au dieu guérisseur ne peut être érigé sans qu’un serpent sacré, venu d’Epidaure (la région natale d’Asclépios) n’y soit amené. La région d’Epidaure est d’ailleurs la seule où l’on ne tue pas les serpents.

D’aucuns verront dans cet emblème du serpent enroulé sur un bâton le fameux caducée, l’insigne professionnel des médecins. Funeste méprise. Car le caducée en question regroupe deux serpents entrelacés autour d’un bâton. Et surtout, il fait référence à … Hermès. En échange de sa lyre, Apollon a donné à Hermès une baguette magique faite de bois d’olivier. Un jour qu’il se promène, il tombe nez à nez avec deux serpents en train de se combattre. Il jette son bâton au milieu. De manière miraculeuse, les deux serpents s’enroulent autour du bâton.

Après ce geste, il dit que cette baguette était un instrument de paix ; certains, en faisant des caducées, représentent deux serpents enlacés sur une baguette, car cela avait été un principe de paix pour Mercure.

Hygin, Astronomie.

Au final, il convient de noter que souvent le bâton d’Asclepios et le caducée d’Hermès sont utilisés alternativement dans les logos des professions de santé.

Le serpentaire
A gauche, bas relief représentant Asclepios et sa fille Hygié avec le serpent enroulé sur le bâton (Musée du Louvre). A distinguer du caducée d’Hermès où on a deux serpents enroulés sur un bâton.

Pour en savoir plus :

Ecrit par Jean Paul Meyronneinc.