Quand Homère nous parle d’astronomie

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Homère récitant l’Odyssée. Jean-Baptiste Mallet (1759–1835).

En guise d’introduction :

Pour commencer, Homère aurait vécu au IXème siècle avant JC. «Aurait» car les spécialistes se perdent en conjectures pour savoir s’il a vraiment existé, s’il était un ou plusieurs. Était ce un conteur vagabond à moitié aveugle dont les odes ont été reprises par d’autres ou un bien aussi un riche citoyen installé confortablement dans sa demeure et qui a consacré son temps à l’écriture ? Le mystère plane encore. Il n’en reste pas moins que l’Iliade et l’Odyssée restent les traces écrites les plus anciennes de la littérature grecques. Et ils constituent à bien des égards les plus grands monuments de la littérature grecque et les plus connus.

L’Iliade raconte les dix jours qui précèdent la chute de Troie et vont mettre un terme à la guerre qui oppose troyens et grecs (désignés sous le nom d’Achéens ou d’Argiens) depuis dix ans. Au cours de ce premier grand roman épique on va suivre les combats, les intrigues mais aussi les joies et les drames, avec la mort d’Hector, la défaite des troyens, la peine de Priam et la victoire au goût amer d’un Achille qui nous apparaît au final bien impitoyable.

Hymne à la paix à travers le déroulé d’une guerre sanglante, où les héros meurent les uns après les autres, aux motifs bien futiles où finalement tout le monde est un peu perdant, l’Iliade reste une référence entre légende et réalité. Cette guerre a t-elle vraiment existé ? Troie était-il aussi puissante qu’on le dit ? Ces valeureux guerrier ont-ils été inspirés par un esprit de conquête ou bien mus par la seule volonté des Dieux ?

Des Dieux qui se divisent entre les partisans des grecs (Athéna, Artémis), ceux des troyens (Aphrodite, Apollon) et un Zeus qui penche tantôt d’un côté et tantôt de l’autre.

L’Iliade : à la découverte d’Orion, de la Grande Ourse :

Mais en filigrane, pour les astronomes, c’est également une première approche pour voir comment les grecs anciens voyaient le monde et le ciel. Au chant XVIII, Thetis, déesse de la Mer et mère d’Achille, demande à Héphaïstos, dieux du feu et de la forge, de construire des armes pour son fils.

Il commence d’abord par le bouclier. Et sur ce bouclier, il va graver une représentation du système céleste :

Il y montre la terre et le ciel et la mer, le soleil inlassable et la lune en son plein, et les astres, tous ceux dont le ciel se couronne : le puissant Orion, Hyades et Pléiades, puis l’Ourse, qu’on appelle aussi le chariot et qui, tournant sur place, épiant Orion, seule dans l’Océan ne se baigne jamais.

Chant XVIII, 484–490.

Premières descriptions des constellations et référence moderne au chariot et au caractère circumpolaire de la Grande Ourse, «qui ne se baigne jamais». Sous entendu qui n’a jamais droit au repos et ne peut profiter des bienfaits de l’océan.

Le Bouclier d’Achille selon Quatremère de Quincy (1815).

Cet océan est en fait un vaste fleuve qui entoure une terre encore plate (elle ne deviendra sphérique qu’ au Vème siècle avant J.-C.) et qui permet aux astres et au soleil de se régénérer et de reprendre vigueur (alternance jour/nuit). Cet Océan régénérateur des astres on le retrouve dans le chant V quand Athéna vient auréoler Diomède :

D’une flamme inlassable, elle fait resplendir son casque et son écu. On croirait voir l’éclat de l’astre de l’été, alors qu’il éblouit de ses rayons les yeux, après s’être baigné dans l’eau de l’Océan.

Chant V, 1–10.

Et de Sirius :

L’astre de l’été fait référence à Sirius. Un Sirius que l’on va recroiser au chant XXII lorsque Priam aperçoit Achille s’approchant de sa cité :

On croirait voir l’éclat de l’astre de l’été, dont la claire lueur brille au cœur de la nuit dans le ciel constellé — c’est le chien d’Orion, astre resplendissant, mais de sinistre augure, car aux pauvres humains, il apporte les fièvres.

Chant XXII, 25–31.

Ce chien d’Orion c’est évidemment Sirius, Homère faisant un raccourci entre la constellation (celle du Chien) et son étoile principale (Sirius). Homère nous rappelle ici que Sirius se lève le matin (lever héliaque à l’est) aux alentours de la mi juillet et que cette période annonce les temps secs et chauds, favorables à la propagation des maladies et épidémies, la fameuse canicule (du latin caniculis, diminutif de canis, le chien). Tout comme la venue d’Achille aux portes de Troie qui annonce la fin prochaine d’Hector.

L’étoile Sirius, décrite par Homère, était déjà une référence de taille chez les Égyptiens.

Une autre étoile revient à plusieurs fois dans l’Iliade c’est Vénus (l’étoile du berger). Étoile car à l’époque on ne faisait pas le distinguo entre étoiles et planètes. Ces dernières étant catalogué d’astres «errants» dans la mesure où leur course dans le ciel ne ressemble pas à celle des étoiles dites «fixes». On voit donc l’Étoile du berger une première fois au chant XXII à l’approche du combat entre Achille et Hector :

Comme, au cœur de la nuit, s’avance la clarté de l’étoile du soir – c’est dans le firmament la plus belle de toutes ; ainsi scintille alors l’épieu pointu qu’Achille en sa droite brandit.

Chant XXII, 317–320.

Puis on la retrouve, mais cette fois ci en étoile du matin au chant XXIII lors de la préparation des funérailles de Patrocle, le compagnon et ami de toujours d’Achille :

Mais quand soudain paraît l’étoile du matin, à la terre venant annoncer la lumière et précédant l’Aurore aux voiles de safran qui s’épand sur la mer, le feu du bûcher tombe et la flamme s’apaise.

Il est fort probable que pour Homère l’étoile du matin et l’étoile du soir étaient deux astres différents, ne sachant pas qu’il s’agissait de la seule planète Vénus.

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L’Étoile du matin (Vénus). Josy Klein (1924). Qu’Homère cite à deux reprises lors du combat d’Achille et Hector et lors des funérailles de Patrocle.

L’Odyssée : le ciel pour guider les marins

L’Odyssée suit chronologiquement l’Iliade afin de pour narrer le retour d’Ulysse dans sa patrie. Un autre périple qui va durer 10 ans et au cours duquel Ulysse va perdre tous ses compagnons et devoir combattre tout à la fois des Cyclopes, des géants anthropophages (les Lestrygons), échapper à des monstres marins (Charybde et Scylla) et résister aux chants des sirènes et aux charmes des magiciennes Calypso et Circé. De retour enfin dans son Ithaque natale, Ulysse devra affronter un ultime défi en se débarrassant de tous les prétendants et chefs locaux qui avaient envahi sa demeure et essayé de soudoyer son épouse Pénélope, à lui restée fidèle. Ode au courage, à l’abnégation, à l’amour et à la fidélité (celles de son épouse et de son fils Télémaque), l’Odyssée a traversé les siècles sans prendre une ride, faisant même d’Ulysse un héros resté moderne.

La Méditerranée est le cœur géographique de l’intrigue. Et donc avec elle tous les périples de la navigation. Homère va nous distiller quelques références astronomiques et aussi nous montrer l’usage que les marins en faisait à l’époque. Ainsi au chant V, lorsqu’Ulysse quitte l’île de la nymphe Calypso, il prend la barre du navire et :

Sans qu’un somme jamais tombât sur ses paupières, son œil fixait les Pléiades et le Bouvier, qui se couche si tard et l’Ourse qu’on appelle aussi le Chariot, la seule des étoiles qui jamais ne se plonge aux bains de l’Océan, mais tourne en même place en guettant Orion ; l’avis de Calypso, cette toute divine, était de naviguer sur les routes du large, en gardant toujours l’Ourse à gauche de la main.

Chant V, 277–284.

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Ulysse quittant Calypso. Friedrich Preller l’ancien (1864). Les repères astronomiques d’Homère ont permis de situer l’île de Calypso au niveau du détroit de Gibraltar.

Guide à la navigation, ce passage nous rappelle là encore le caractère circumpolaire de l’Ourse (même référence que dans l’Iliade). Et nous donne des indications sur la période à laquelle il a accompli son périple et la direction prise. En horaire solaire, en avril-mai, l’alignement Pléiades-Ourse-Bouvier peut être vu que pendant les quatre premières heures de la nuit. Nul doute que c’est dans cette période printanière, propice à des vents plus calmes, qu’Ulysse s’est élancée sur la mer. Quant à la direction, la Grande Ourse étant à sa gauche, Ulysse allait d’Ouest en Est. Sa traversée ayant duré 17 jours avant d’atteindre les rivages des Phéaciens (côte grèco-albanaise), nombre de traducteurs d’Homère ont situé l’île de Calypso dans la partie la plus occidentale de la Méditerranée, vers le détroit de Gibraltar.

Le retour d’Ulysse en Ithaque quelques temps plus tard sera l’occasion pour Homère de faire une nouvelle référence à Vénus :

Juste à l’heure où paraît la reine des étoiles, qui vient pour annoncer le lever de l’Aurore en son berceau de brume, le navire, achevant sa course sur sa mer, abordait en Ithaque.

Chant XIII, 92–95.

Vénus, Étoile du matin, qu’Homère voit comme annonciatrice du retour d’Ulysse sur sa terre natale.

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Homère et son guide. William Bouguereau (1874).

Ouvrages de référence :

Ecrit par Jean Paul Meyronneinc.