La Vierge : déesse de la Justice
En résumé :
La constellation de la Vierge n’est pas un anachronisme renvoyant à la Vierge Marie. Mais alors à qui font référence les Grecs lorsqu’ils citent la Vierge ? Plusieurs hypothèses sont émises allant de Déméter à Isis en passant par Artémis ou Athéna. Mais la version qui emporte la quasi unanimité des auteurs anciens (Aratos, Eratosthène ou Hygin) est celle de la déesse de la Justice, personnifiée la plupart du temps dans les écrits par Diké ou Astrée.
Une déesse secondaire au centre du mythe des races relatif aux trois âges de la race humaine : or, argent et bronze. Et qui, exaspérée par la violence et la haine des hommes, s’en fût au Ciel.
La constellation de la Vierge en quelques mots :
Son nom officiel est Virgo. C’est une très grande constellation par la taille (la deuxième) visible de février à juin. Elle est située sous le Bouvier et entre le Lion et la Balance. Sous elle, on trouve le triptyque Hydre, Corbeau et Coupe.
La constellation de la Vierge comprend une des étoiles les plus brillantes du ciel, Spica (magnitude de 1 comme pour Véga). Spica, soit épi en latin, ce qui explique que la vierge des astronomes est toujours représentée avec un épi de blé dans les mains.
On y trouve 8 objets de Messier, principalement des galaxies. Les plus facilement identifiables sont M49 et M104 (galaxie du Sombrero). M87 est devenu célèbre, puisque c’est son trou noir qui a été “photographié” en premier.
Ce qu’en disent les auteurs anciens :
Elle aurait jadis séjourné sur terre. Elle venait à la rencontre des humains. Elle ne dédaignait pas la foule des hommes et des femmes d’autrefois. Bien au contraire, elle s’asseyait au milieu d’eux, tout immortelle qu’elle fût. Et on l’appelait Justice.
Aratos. Phénomènes.
Aratos, reprenant le récit d’Hésiode, raconte que jadis, bien qu’elle fût immortelle, elle habitait sur la terre au milieu des humains, et que ces derniers l’appelaient Diké.
Eratosthène. Catastérismes.
Selon le récit d’Hésiode, c’est la fille de Jupiter et de Thémis. Elle vécut à l’époque de l’âge d’or de l’humanité et la gouverna. En raison de son dévouement et de son équité, on l’appela Justice.
Hygin, L’Astronomie.
Ainsi, s’exaspéra bientôt, contre l’humanité, l’aversion légitime de la Vierge irréprochable ; de ses ailes agiles, la déesse gagne le Ciel.
Aviénus, Les Phénomènes d’Aratos.

La Justice et le mythe des races :
Aratos, dans ses Phénomènes, est d’habitude peu prolixe sur les significations mythologiques des constellations qu’il décrit. Avec la Vierge, il fait une exception. Quelques 40 de ses vers lui sont consacrés. Un record.
Pour Aratos, la Vierge, qu’il ne nomme pas, serait en fait la déesse de la Justice, celle qui présidait aux heures glorieuses de l’Age d’Or. On trouve ici la symbolique de ce que les Grecs appelaient les trois âges. Le premier âge, celui de la race d’or, période bénie où les hommes vivaient en harmonie, profitant de tous les biens sans acrimonie. A cette époque, Justice,
Maîtresse des peuples, dispensatrice des biens légitimes, leur procuraient tout en abondance.
Aratos, Phénomènes.
Puis vint la race d’argent. La démesure, la cupidité et l’ambition commencent à se répandre. Les hommes se font moins confiance. Ils creusent des sillons, attellent des bœufs, entrent dans des maisons. Zeus remplace le printemps éternel par un été sec et un hiver froid, avec un automne irrégulier. Justice prît alors ses distances :
La race d’argent, elle ne la fréquentait que peu et mal volontiers, car elle regrettait les moeurs des anciens peuple.
Aratos, Phénomènes.
Vint enfin la race de bronze (ou d’airain selon les auteurs, suivi parfois par l’âge de fer), “âge qui fit fuir honneur, vérité, foi, à leur place installant la perfidie, la fraude, la violence, le dol et l’avarice impie”(Ovide, Métamorphoses, I-130). C’est le temps des guerres, de la haine entre les hommes, de la violence à l’état pur. Et là, Justice ,
Prit cette race en haine, s’envola vers le ciel et s’établit dans la région où elle apparaît encore la nuit aux humains sous la forme de la Vierge.
Aratos, Phénomènes.
Ce mythe des races, ainsi décrit par Aratos, est l’un des éléments fondateurs de la mythologie grecque. On le retrouve dans Hésiode (Des Travaux et des Jours), Virgile (Bucoliques), Aviénus (Les Phénomènes d’Aratos), Ovide (Les Métamorphoses), etc.

Puisqu’il faut la nommer : Astrée, Diké, Thémis ?
Aratos parle d’une déesse de la Justice sans vraiment la nommer. A partir de là, plusieurs noms lui seront attribués sans que l’un d’entre eux emportent vraiment la palme.
Au départ, on pense à Thémis, déesse de la Loi, appartenant à la race des Titans et deuxième femme de Zeus. Elle est la personnification de la Loi éternelle, davantage que de la Justice. Elle est souvent représentée avec une épée dans une main (le châtiment), une balance dans l’autre (l’équité) et les yeux bandés (l’impartialité). Avec Zeus, elle aura une descendance assez prolifique dans laquelle on retrouve la vierge Astrée et les Heures.
Astrée, fille de Zeus et de Thémis est, davantage que sa mère, la personnification de la Justice. On confond souvent les deux. Aratos, Ovide ou Virgile en font la Justice que l’on trouve dans le mythe des trois races.
Mais Thémis eut également avec Zeus ce qu’on appelle les « Heures ». Elles sont au nombre de trois : Eunomie (le Bon Ordre), Diké (le Droit ou la Justice) et Irène (la Paix). Elle symbolisaient historiquement les trois saisons (Été, Hiver et Printemps) et veillaient à l’accès du ciel vaste et de l’Olympe. Eratosthène fait donc naturellement de Diké la Justice :
Hésiode raconte dans la Théogonie que c’est la fille de Zeus et de Thémis et qu’elle se nomme Diké (Justice).
Eratosthène, Catastérismes.
Bref. Astrée, Diké ou Thémis. Peu importe en fait son nom. A chaque fois on en revient à la Justice et à son rôle dans la mythe des races. On en restera donc au principe Vierge = Justice.
Pourquoi un épi de blé ?
Reste un mystère dans cette Justice. Pourquoi tient-elle un épi de blé (spica en latin, nom de la principale étoile de la constellation) ? Alors qu’on représente plutôt la Justice avec une balance. Au passage, faut-il y voir la signification symbolique de la constellation suivante, celle de la Balance, qui était avant les “Pinces du Scorpion” ?
L’épi de blé n’est en fait pas si éloigné de ça de la légende de Justice. En effet, cette dernière fait référence à l’âge d’or, celle du printemps éternel. Et son apparition, au lever héliaque en septembre, symboliserait le retour à un cycle bienheureux, avant les âges d’argent et de bronze, à une époque où les saisons ne faisaient qu’une.
Sur l’histoire de l’épi de blé, Eratosthène avance une autre idée :
Il court par ailleurs un très grand nombre de traditions divergentes sur son compte. L’une d’elles l’identifie avec Déméter, à cause de l’épi qu’elle tient.
Eratosthène. Catastérismes.
Théorie reprise par Aviénus :
Cérés (la Déméter romaine) puisque tu tiens un épi ardent et que cet épi, que présente ta main, semble brûlé par la chaleur de Sirius.
Aviénus, Les Phénomènes d’Aratos.
A noter cependant qu’Eratosthène, comme Aviénus, ne citent ces références que de manière supplétive, préférant eux aussi voir en la Vierge la déesse de la Justice.
Pour en savoir plus :
- Encyclopédie du Ciel. Sous la direction d’Arnaud Zucker (Éditions Bouquins).
- Eratosthène — Le Ciel, Mythe et Histoires des constellations. Sous la direction de Pascal Charvet (Éditions du Nil).
- Catastérismes. Eratosthène de Cyrène (Éd Belles Lettres).
- L’Astronomie. Hygin (Éd. Belles Lettres).
- Grand Dictionnaire Larousse de la Mythologie. Jean-Claude Belfiore (Larousse Éditions).
- Théogonie et Les travaux et les jours. Hésiode (Éd. Belles Lettres).
- Les Phénomènes d’Aratos. Aviénus (Éd. Belles Lettres).
- Les Métamorphoses. Ovide (Éd. Belles Lettres).
Ecrit par Jean Paul Meyronneinc.