A propos de Dmitri Maksutov et de ses téléscopes
Heureux possesseur d’un Maksutov-Cassegrain russe de marque Intes, je me suis intéressé à la vie de son concepteur et j’ai traduit cet article car les informations précises concernant cet opticien de génie sont très rares en français. Article publié initialement en anglais dans “Starscan”, revue du Johnson Space Center Astronomical Society, vol. 20, n°2, février 2004, par Eduard Trigubov et Yuri Petrunin.
Les années de formation
Dans l’histoire de la conception des télescopes, un nom est devenu synonyme d’inventivité, d’ingéniosité, d’élégance et de qualité optique : Maksutov. Bien qu’il n’ait pas été le premier à envisager la combinaison de réfracteurs et de réflecteurs dans un seul instrument, Maksutov a réussi à concevoir une formule optique qui donna naissance à une catégorie d’instruments compacts à haute définition et relativement aisés à fabriquer.
Le 60e anniversaire de l’invention du télescope catadioptrique à ménisque a été célébré en 2001. Malgré l’engouement actuel pour cette formule, la biographie de Maksutov reste assez mal connue du public anglophone (et du public francophone NDT), et les liens que sa famille entretient avec les États-Unis surprendront de nombreux lecteurs.
Maksutov est né le 11 avril 1896 à Nikoayev, en Russie. Sa famille emménagea à Odessa lorsqu’il avait 3 ans. Son père, officier de la Marine russe servant dans la flotte de la mer Noire était issu d’une famille où la tradition navale était aussi ancienne qu’illustre. Son arrière grand-père, Piotr Ivanovich Maksutov, avait reçu le titre de “Prince” en récompense de sa bravoure au combat et la famille avait été de ce fait anoblie. Le grand-père, Dmitri Petrovich Maksutov fut gouverneur impérial de l’Alaska au moment de l’achat de ce territoire par les États-Unis en 1867.
Après ses études secondaires, Maksutov intégra l’École de Génie Militaire de Saint-Pétersbourg en 1913. En août de l’année suivante, les cours furent annulés et les étudiants envoyés au front. Maksutov se distingua dans le Caucase en tant qu’opérateur radio et obtint le grade de lieutenant. En 1916, il se porta volontaire pour apprendre piloter. Il survécu miraculeusement à un accident au cours duquel son avion se désintégra et tomba de plus de 60 mètres. Il fut hospitalisé du fait de ses blessures et rendu à la vie civile peu de temps après la révolution de 1917. Il tenta aussitôt d’émigrer au États-Unis en passant par la Chine, mais ne parvint pas plus loin que Harbin en Mandchourie, où le manque d’argent le contraignit à faire demi-tour.
Les Maksutov connurent des moments difficiles au lendemain de la première guerre mondiale et de la révolution de 1917. Sa mère resta à Odessa, mais le père de Maksutov et son cadet Constantin, qui avaient affronté les Bolcheviks pendant le révolution, fuirent vers la France, avant de rejoindre les États-Unis. Ils s’installèrent à Long Island, NY. Son père rejoignit la marine marchande et décéda en 1958. Constantin devint ingénieur chimiste.
Une vie d’opticien
Au tournant du XXe siècle, l’intérêt de Dmitri pour l’astronomie avait été éveillé par un cadeau de son grand-père : une lunette Dollond du XVIIIe siècle en cuivre et acajou. Le faible diamètre de cet instrument lui donna envie d’acquérir un télescope plus puissant, mais les instruments disponibles à l’époque, principalement allemands, étaient hors de prix. Le jeune astronome en herbe de 15 ans décida d’en fabriquer un lui-même. Il façonna et polit un miroir de 180 cm, qu’il monta selon la formule de Newton, et fit régulièrement des observations. Il fut rapidement élu membre de l’association russe d’astronomie, et publia de nombreux articles dont la revue de l’association.
En 1919, Maksutov rejoignit Tomsk en Sibérie centrale et suivi les cours de l’Institut technique de la ville. Bien qu’encore étudiant, Maksutov enseigna aussitôt la physique tout en suivant des cours d’optique, du fait de la pénurie de professeurs provoquée par la guerre civile en Russie. Un des enseignants de l’Institut de Tomsk remarqua le talent du jeune Maksutov et le recommanda en termes élogieux à Dmitri Rozhdestvensky, fondateur et directeur de l’Institut d’Optique d’État Vavilov de Leningrad, le G.O.I., qui lui offrit un poste. Il travailla alors sous la direction d’Alexandre Chikin, opticien de renom et auteur d’un ouvrage sur la taille des miroirs, bible des fabricants amateurs de télescopes en Russie. Néanmoins, Maksutov ne resta pas longtemps au sein du G.O.I. Il reçut bientôt des nouvelles de sa mère résidant à Odessa, alors qu’il pensait que toute sa famille avait émigré. Il quitta rapidement Leningrad et retourna à Odessa, où il donna des cours de mathématiques et de physique, tout en fabriquant des optiques pour l’observatoire d’Odessa dans un atelier personnel.
En 1927, il accepta un poste l’Institut de Physique de la ville, où il organisa un atelier de fabrication de télescopes pour les écoles. En un an, l’atelier produisit une centaine de télescopes de type Newton de 150mm, comportant des optiques de grande qualité, taillées et polies à la main.
En février 1930, Maksutov fut arrêté avec des centaines d’autres ennemis supposés du régime soviétique lors d’une purge à Odessa. Ce fut une des expériences les plus traumatisantes de sa vie. Certains détenus, pris au hasard, étaient abattus sans autre forme de procès. Heureusement, Maksutov fut libéré en mars de la même année et trois mois plus tard, retourna travailler à Leningrad, à la demande du G.O.I. Son atelier d’optique devint bientôt le plus important d’Union Soviétique.
Ce fut une période fructueuse pour Maksutov. Sans avoir connaissance des recherche de George Ritchey, Karl Schwarzschild et André Couder, il mit au point une formule aplanétique pour réflecteurs. Cette avancée théorique majeure fut publiée dans le bulletin du G.O.I. en 1932. Il développa également une méthode d’évaluation des surfaces des miroirs, comparable au test de Ronchi servant à estimer les aberrations géométriques. Il chercha également à améliorer le test de Foucault. Ses recherches restèrent néanmoins inconnues des spécialistes d’optique étrangers, du fait de l’isolement de l’URSS avant la deuxième guerre mondiale.
La première réalisation majeure de Maksutov fut un objectif de 80cm destiné à la grande lunette de l’observatoire de Pulkovo à Leningrad. L’instrument avait été commandé à Grubb Parsons en 1913, et en 1926 tous les éléments, à l’exception de l’objectif, avait fini par être livrés. Après plusieurs tentatives infructueuses pour trouver un tel objectif en Grande-Bretagne et en Allemagne, le G.O.I. fur chargé d’en fabriquer un. Malheureusement, le projet connu de nombreux contre-temps. La fonte d’un verre crown brut (verres à très faible dispersion chromatique) échoua à plusieurs reprises. L’atmosphère de travail était d’autant plus tendue que Maksutov apparaissait aux yeux de certains de ses collègues comme un ennemi de classe. Il fut finalement arrêté et emprisonné pendant neuf mois sous des accusations de sabotage et d’espionnage. L’objectif ne fut achevé qu’en 1946, à une époque où les grandes lunettes étaient complètement dépassées. La lentille est toujours visible au musée de l’observatoire.
Au cours des années 30, l’équipe de Maksutov produisit un ensemble extrêmement varié de systèmes optiques complexes, dont des lentilles apochromatiques très ouvertes, deux chambres de Schmidt de 14 pouces ouvertes à f/2, un miroir aplanétique de 40cm destiné à l’observatoire de Byurakan en Arménie et un télescope solaire de 50cm pour l’observatoire de Pulkovo. Maksutov soumis une dizaine de brevets et publia plusieurs ouvrages de référence
L’apport du ménisque dans le formule de Maksutov
Au moment de l’invasion de l’Union Soviétique par l’Allemagne nazie, en juin 1941, de nombreuses installations industrielles et scientifiques furent évacuées vers l’est de l’URSS. Au cours d’un voyage en train vers l’Asie centrale, Maksutov reprit ses réflexions concernant une formule optique qui conviendrait pour la production en série de télescopes destinés aux écoles. C’est à ce moment que lui vont l’idée d’employer un ménisque.
Voici ce qu’il consigna plus tard dans un de ses ouvrages à propos des idées qu’il eut au cours de ce voyage : Les petits télescopes actuels donnent-ils satisfaction ? Non, car ces télescopes comportent des miroirs aluminés, qui doivent être ré-aluminés régulièrement. Comment éviter cela ? Une solution serait de placer une fenêtre parallèle au plan du miroir à l’avant du télescope. Cela augmenterait le coût du télescope, mais si nous voulons en produire de robustes pour les écoles, c’est nécessaire. Un tube fermé permettrait également de réduire les courants de convection thermique à l’intérieur du tube, ce qui augmenterait la qualité de l’image. Allons plus loin… Si cette fenêtre soutenait le miroir secondaire en diagonale, il n’y aurait plus d’araignée, ce qui éliminerait les figures de diffraction sur les images des étoiles. Et si, en utilisant une formule de type Gregory ou Cassegrain, le miroir secondaire était attaché à la fenêtre optique ? Et si cette fenêtre n’était pas plane mais se présentait sous la forme d’un ménisque avec une courbure interne égale au rayon de la surface du miroir secondaire ?
Dans ce cas, le miroir secondaire serait un point aluminé au centre du ménisque. Un tel système a beaucoup d’attrait, car l’obstruction centrale est réduite ainsi que le risque de désalignement du miroir secondaire.
Le ménisque pouvait être achromatique (faisant converger toutes les couleurs au même point focal) mais des calculs rapides montrèrent que cela produirait une aberration sphérique importante. Maksutov faillit passer à côté d’une découverte essentielle, car il commença des recherches visant à calculer un ménisque dépourvu d’aberration. Néanmoins, il pris bientôt conscience que le ménisque pouvait introduire une aberration positive qui compenserait alors l’aberration négative induite par un miroir primaire sphérique, ou un système de miroirs primaires, sans pour autant générer de l’aberration chromatique.
Ce trait de génie n’était pas totalement inattendu. Les notes de travail de Maksutov révèlent qu’en 1936, alors qu’il travaillait sur les miroirs Mangin (à champ plan dont l’un des côté est argenté, utilisés dans les phares), il avait élaboré un petit schéma séparant les éléments réflecteurs et réfracteurs d’un miroir Mangin de façon à obtenir un ménisque et un miroir. En 1929, il avait également publié un article décrivant une famille de ménisques achromatiques.
Le premier télescope à ménisque fut achevé le 26 octobre 1941, trois semaines après son arrivée à Yoshkar-Ola au Kazakhstan. Il déposa le brevet correspondant le 8 novembre de la même année. Les performances de ce petit instrument grégorien de 100mm à f/8,5 étaient exceptionnelles. En retournant le ménisque, Maksutov obtint une configuration de type Cassegrain, celle qui est maintenant très répandue dans le commerce.
Malgré les contraintes de la guerre, ces années furent parmi les plus fertiles et innovantes de la carrière de Maksutov. Au cours d’une seule année, il calcula la formule de plus de 200 systèmes optiques à ménisque pour des télescopes allant de 10 cm à 1m de diamètre, une procédure longue et fastidieuse à une époque où l’on utilisait encore les règles de calcul et les tables logarithmiques. A la fin de 1944, il avait calculé plus de 500 formules optiques, qui sont connues de nos jours sous les noms de Simak et Rumak, mais qui ont leur origine dans les carnets de Maksutov.
En novembre 1943, Maksutov rejoignit la prestigieuse Académie des Sciences de Moscou. Malgré les victoires soviétiques, les Allemands détruisaient systématiquement les installations industrielles et scientifiques au cours de leur retraite. Les innovations de Maksutov reçurent donc une attention considérable puisqu’il fallait remplacer de nombreux instruments détruits.
Le temps de la reconnaissance internationale
En 1944, Maksutov publia son célèbre article “New Catadioptric Meniscus Systems” à la fois dans le bulletin du G.O.I. et dans le Journal of the Optical Society of America (JOSA, vol. 34, n°5, pp. 270-283). Cet article eut un retentissement international très important, à tel point que Maksutov reçu le grade de professeur sans avoir à rédiger et soutenir une thèse. En 1946, le brevet correspondant lui fut attribué et il reçu un prix du gouvernement pour la “création de nouveau types de systèmes optiques”. Néanmoins, malgré cette soudaine célébrité, il ne fut pas autorisé à voyager à l’étranger. Emprisonné en 1937, il reçu pourtant deux fois l’Ordre de Lénine en 1941 et en 1946.
Après la guerre, Maksutov reprit ses activités au G.O.I. Il mit au point les trois premiers télescopes astronomiques à ménisque. L’un des premiers modèles (le MTM-1), un Maksutov-Cassegrain de 20cm avec un point focal de Nasmyth, porté par une monture à fourche, conserve encore aujourd’hui une étonnante modernité. Sous la direction de Maksutov, un télescope de 70mm à f/10 équipé de deux oculaires interchangeables par rotation fut produit et envoyé dans chaque école et université d’Union Soviétique.
Malgré sa charge de travail, Maksutov donna des conférences à l’observatoire de Pulkovo et rédigea plusieurs manuels : “Optiques pour l’Astronomie” en 1946 et “Fabrication et test d’optiques pour l’astronomie” en 1948.
D’autre part, à la fin des années 40 et au cours des années 50, il supervisa la fabrication de nombreux télescopes de grand diamètre, qui sont encore en service en Russie : deux télescopes planétaires de 34,25 cm à f/13,5 (l’un pour l’observatoire de Pulkovo, l’autre pour un observatoire en Ukraine) ; une chambre à ménisque de 50 cm à f/2,4 pour l’observatoire d’Alma-Ata au Kasakhstan, une autre pour Crimea en Ukraine et un 70 cm pouvant être utilisé à f/3 et à f/15, installé à Abastuman en Géorgie. Il dressa les plan d’un télescope de 4m, qui fut bientôt abandonné pour un télescope de 6m, dépassant en diamètre celui du Mont Palomar aux Etats-Unis : c’est le Grand Télescope Altazimutal (BTA) se trouvant dans les montagnes du Caucase encore en activité de nos jours.